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    Temps obscurs





    Gideon Lévy

    Journaliste israélien



    Haaretz, 30 juillet 2006



    www.haaretz.co.il/hasite/spages/744202.html  



    Version anglaise : www.haaretz.com/hasen/spages/744061.html  



    (Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)



    A la guerre comme à la guerre : Israël va s'enfonçant dans une
    atmosphère nationaliste véhémente et l'obscurité commence à tout
    recouvrir. Les freins qui nous restaient sont usés, l'émoussement des
    sens et la cécité caractéristiques de la société israélienne ces
    dernières années, ne cessent de s'intensifier. L'arrière, dont on fait
    l'éloge à tour de bras, est scindé en deux : le nord qui endure et le
    centre qui, lui, est serein. Mais des deux côtés, la fibre belliqueuse
    a pris le dessus, avec sa cruauté et sa soif de vengeance, et les voix
    extrêmes qui jusqu'ici caractérisaient les marges du camp, sont
    maintenant l'expression de son cœur. La gauche s'est une nouvelle fois
    égarée, drapée dans son silence ou « avouant ses erreurs ». Israël
    montre un visage uniforme, nationaliste.





    La destruction que nous semons au Liban ne touche quasi personne et
    elle n'est, pour l'essentiel, même pas montrée aux yeux des Israéliens.
    Celui qui veut savoir à quoi ressemble Tyr maintenant, doit circuler
    parmi les chaînes étrangères. Un reporter de la BBC en a rapporté des
    images effrayantes, comme vous n‘en verrez pas chez nous. Comment
    peut-on ne pas être choqué, scandalisé devant la souffrance terrible de
    l'autre, due à notre propre action, même si le nord de notre pays
    souffre ? La destruction que nous semons en ce moment également à Gaza
    – près de 120 tués depuis l'enlèvement de Gilad Shalit, dont 27 pour la
    seule journée de ce mercredi – touche moins encore. Les hôpitaux de
    Gaza sont remplis d'enfants brûlés, mais qui s'en soucie ? L'obscurité
    de la guerre dans le nord les couvre, eux aussi.





    Depuis que nous avons été habitués à considérer qu'une punition
    collective est, entre nos mains, une arme légitime, il n'y a pas lieu
    de s'étonner que la cruelle punition infligée au Liban tout entier pour
    les actes du Hezbollah ne suscite ici aucune discussion. Si à Naplouse
    c'était permis, pourquoi pas à Beyrouth ? La seule critique à se faire
    entendre à propos de la guerre porte sur des considérations tactiques –
    chacun est maintenant général – et pousse essentiellement l'armée
    israélienne à porter encore plus avant, plus profondément son action.
    Commentateurs, généraux à la retraite et politiciens rivalisent de
    suggestions extrêmes. Haïm Ramon [Ministre de la Justice - NdT] « ne
    comprend pas » comment il y a encore de l'électricité à Baalbek. Eli
    Yishai [député Shas - NdT] propose de transformer le sud du Liban en «
    bac à sable ». Un reporter militaire de la première chaîne, Yoav Limor,
    propose d'exposer les corps des combattants du Hezbollah tués et, le
    lendemain, de faire défiler les prisonniers en sous-vêtements afin de «
    renforcer le moral de l'arrière ». On devine aisément ce que nous
    penserions d'une chaîne de télévision arabe dont le commentateur
    s'exprimerait ainsi, mais encore quelques pertes ou quelques erreurs de
    l'armée israélienne et la proposition de Yoav Limor sera mise en
    application. Y a-t-il signe plus éclatant qu'on a perdu la raison et
    toute humanité ?



    Le chauvinisme et le désir de vengeance relèvent la tête. Si, il y a
    quinze jours, seuls des personnages délirants comme le grand rabbin de
    Tsefat, Shmouel Eliyahou, disaient qu'il fallait « raser toute localité
    à partir de laquelle on tire sur Israël », c'est maintenant au tour
    d'un officier supérieur de l'armée israélienne de s'exprimer ainsi à la
    une de « Yediot Aharonot ». Nous n'avons peut-être pas encore
    complètement rasé de villages libanais, mais nos lignes rouges, nous
    sommes déjà bel et bien occupés à les effacer. Haïm Avraham, dont le
    fils avait été enlevé et tué par le Hezbollah en octobre 2000, tire
    pour les journalistes un obus de l'armée israélienne en direction du
    sud du Liban : vengeance pour l'assassinat de son fils. Son image, au
    moment où il saisit l'obus tout décoré, était une des plus humiliantes
    de cette guerre, à son commencement. Un groupe de jeunes filles a lui
    aussi été photographié alors qu'elles ornaient des obus de l'armée
    israélienne d'inscriptions arrogantes. Les pages de « Maariv » – le «
    Fox » israélien – s'ornent d'un slogan chauviniste évoquant une machine
    de propagande particulièrement basse, « Israël est fort », ce qui
    témoigne justement de faiblesse. Et un commentateur de télévision
    appelle à bombarder une station de télévision.



    Le Liban qui n'a jamais fait la guerre à Israël, un pays avec 40
    quotidiens, 42 universités et une centaine de banques différentes, est
    en train d'être détruit par nos avions et nos canons, et presque
    personne ne prend en compte le prix de la haine que nous semons.
    L'image d'Israël dans l'opinion internationale est devenue monstrueuse
    et cela non plus, en attendant, n'est pas enregistré à la rubrique
    ‘dette' de cette guerre. Israël est marqué de lourdes taches morales
    qu'on n'enlèvera pas rapidement. Il n'y a que chez nous qu'on ne veut
    pas les voir.





    Le peuple veut une victoire mais nul ne sait au juste ce que ce serait,
    ni quel en sera le prix. Une guerre qui n'amènera jamais rien de
    décisif s'enlise sans que personne puisse en fixer le terme.



    Face à tout cela, la gauche sioniste a perdu elle aussi toute
    pertinence. Comme lors de toute rude épreuve dans le passé – au moment,
    par exemple, où les deux Intifadas ont éclaté – la gauche a, cette fois
    encore, échoué au moment précis où sa voix aurait été si vitale pour
    faire contrepoids aux roulements de tambours de la guerre. A quoi bon
    une gauche, si à chaque véritable épreuve, elle se joint au chœur
    national ? Le Parti Travailliste s'est à nouveau révélé être un
    partenaire dévoué à tout gouvernement : même Yuli Tamir et Shelly
    Yacimovich, on ne les entend plus du tout ; le mouvement « La Paix
    Maintenant » est frappé de mutisme ; même le Meretz se tait, sauf la
    courageuse députée Zehava Gal-On. Quelques jours d'une guerre voulue et
    déjà Yehoshua Sobol avoue s'être trompé sur toute la ligne : « La Paix
    Maintenant » est tout à coup, selon lui, un « slogan infantile ». Ses
    amis se taisent et leur silence ne résonne pas moins. Seule l'extrême
    gauche donne de la voix, mais c'est une voix que personne n'écoute.





    Les ténèbres à la face de l'abîme : bien avant que la guerre ne soit
    conclue, on peut déjà établir qu'à son coût croissant s'ajoute aussi
    l'obscurité morale qui nous enveloppe et qui ne menace pas moins notre
    existence et notre image que les Katiouchas du Hezbollah.



     



     

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  • Mon cher petit frère,

    J’ai de la peine de te savoir mort. Pour toi qui entamait la meilleure partie de ta vie, ,pour tes parents, à qui j’adresse ici mes plus sincères condoléances, pour notre ville (plutôt calme par ailleurs), pour notre gouvernement (que l’on sent cloué), pour des valeurs perdues auxquelles je croyais, pour tes potes, pour tes assassins enfin, qui ont tué pour un lecteur mp3.
    Un lecteur mp3. Petit appareil technologique servant à amasser des fichiers sonores de très faible qualité en très grand nombre. Tout un symbole ! A notre époque, la qualité est plus que médiocre mais on en veut toujours plus… Un lecteur mp3, p…, j’y crois pas. Mon libraire maghrébin m’a dit qu’il faudrait pendre tes agresseurs par les couilles et que chaque passant de la gare centrale les pique d’un coup de lame… « j’ai honte d’être marocain » m’ a-t-il dit ce matin. Tu en as reçu 5, des coups de lame. Plus , ce serait du vice, moins,  de la bêtise d’après certains experts.
    Petit frère, Peugeot licencie 2300 ouvriers anglais après avoir réalisé un bénéfice net de près d’un milliard d’Euros. La rumeur circule qui dit que Volkswagen Bruxelles va connaître un bain de sang social, alors que l’usine est rentable voire bénéficiaire. Nos amis néerlandophones veulent le beurre, l’argent du beurre et la culotte de la crémière à propos de Zaventem. Le Docteur Yves Leterme déclare le cancer de notre région bien-aimée : mauvaise gestion due à et Francophones en surnombre. Madame Grouwels estime vivre en état d’apartheid linguistique et fait des déclarations racistes plus que mollement dénoncées par ses compagnons au gouvernement bruxellois.  Laurette Onkelinckx se tait dans toutes les langues, elle qui est si loquace d’habitude ; Guy Verhofstadt privilégie les effets d’annonce à l’action concrète. Patrick Dewael , notre ministre de l’intérieur doit être en vacances car il est muet comme une carpe. Georges Bush repart en guerre pour relancer l’économie américaine, sa prochaine cible sera l’Iran. On nous a menti sur les conséquences de Tchernobyl (tu y as échappé, heureux homme) et j’ai peut-être choppé un cancer en bouffant des légumes contaminés. Moi qui croyais que manger des légumes, c’est bon pour la santé…
     On n’entend personne pour s’exprimer sur les causes de ta mort, hormis les sempiternels experts et les médias bien sûr , le monde politique est curieusement absent.. « La faute à pas de chance » ? . Moi, je n’y crois pas. On a la criminalité qu’on mérite. On ne mérite pas mieux que ta mort stupide. Et violente. Après tout, nous avons collectivement œuvré pour. Certains par leur silence, d’autres par leurs actions politiques, d’autres encore par leur lâcheté. Mais nous tous en sommes responsables. Nous avons accepté le dé tricotage de la sécurité sociale au nom de l’aventure européenne, nous avons accepté le désinvestissement dans l’enseignement au nom de la rigueur budgétaire, nous avons été silencieux lors de l’épisode Renault Vilvorde, nous n’avons jamais, comme les jeunes français l’ont fait récemment, manifesté lorsqu’on nous réduisait des prestations sociales. Nous sommes passifs devant cette agression permanente qu’est la « globalisation » . Globalisation de l’agressivité, globalisation de la perte de valeurs, globalisation du matérialisme-roi… Je possède donc je suis. Nous nous sommes tus. Nous nous taisons. Hébétés. Maintenant, le réveil est difficile. Ton décès nous réveille. Pour combien de temps ?
    Petit Frère, de ta résidence éternelle, regardes-nous nous taire, possédés par ce lecteur mp3 qui t’a coûté la vie. Possédés par cet écran plasma que nous achèterons à crédit, possédés par nos dettes à l’égard de notre âme et de nos valeurs collectives. Par la voiture acquise au dernier salon de l’auto. Par nos vacances en République Dominicaine où nous baiserons des putes par camion, aussi à crédit. Regardes-nous nous taire devant l’inacceptable, et souris de nos lâchetés, de nos manquements à nous–mêmes, de notre consommation idiote et sans fin , de nos hésitations et indécisions multiples. Souris devant ces parents incapables d’autorité sur leurs mômes. Devant la démission du politique et de l’enseignement. Ou plutôt, pleures, car c’est ce qui t’a coûté la vie. Je te pleure et je pleures devant le spectacle dégueulasse auquel j’assiste en ce moment.
    Salut Petit Frère. Reposes en paix.


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  • Cher Johnny,

    Je te remercie pour ton message de Nouvel -An. Comme celui de notre Majesté Albert II, nous avons grand plaisir à recevoir ce message naïf peut-être, certes optimiste.

    Tu sais (tu permets que je te tutoie?), le temps le la Belgique Joyeuse est révolu. Mieux vaut que tu sois prévenu. Justine (*) vit à Monaco (la Belgique lui manque... pas notre sécurité sociale , que veux -tu ?), Kim est blessée juste avant l'Open d'Australie, Miss Belgique aurait triché, les Diables n' iront pas en Allemagne (fallait pas rêver... sans rancune Aimé, il n'y avait pas le matériel.), le Parti Socialiste envoie Laurette à Schaerbeek ( bon calcul, Philippe. Mauvais choix tactique, Elio) , glisse sur du tarmac de première bourre (les jumeaux ont à nouveau frappé, mauvais choix de caoutchoucs) , heureusement on investit dans la culture . La Flandre, elle, raccourcit l'Histoire et conçoit la solidarité sur un laps de temps de 50 ans ; s'étrangle de la liaison fédérale de Rik et Sophie (les nouvelles stars ?) , accorde l'asile politique et l'amnistie à Karel Dillen et ses sbires. Heureusement, elle possède le talent de Tom Boonen. Le personnel belge engagé dans la coopération fédérale comme privée a diminué d'un tiers en dix ans, Monseigneur Danneels est en avance sur l' Eglise mais en retard sur le reste (qui l'eut cru?), le plus grand Belge est élu simultanément dans 2 communautés avec des résultats différents (la troisième n'ayant pas eu droit au chapitre, où était Serge , star des cantons rédimés ? ), mon amour est parti et un parti fasciste est seconde force politique de facto dans l'une de nos trois communautés ; avec un ciel si gris...Enzo est médiocre entraîneur (mais quel joueur !) , Guy ânonne des déclarations à effet externe (le rat se préparerait-il à quitter le navire? Va -il couler ce navire?), Laurette( encore elle !) rogne nos libertés, Eddy et Marc sont à la retraite sur le service public; Michel , l'ogre des Ardennes, est extradé en France (quel dommage de se passer d'un criminel de cette ampleur, c'en est mauvais pour le moral d'autant que nous avons arrêté Dutroux et qu'ils ont foiré Outreau), Haïti n'existe pas (**) , enfin, Le Soir se lève contre l'inacceptable et fait passer ta demande de naturalisation en pages intérieures alors que tu mérites la Une. Avec un ciel si bas... La Belgique Joyeuse est derrière nous te dis - je... Tout fout le camp...

    ... toi, Tu arrives... Béatitude.

    Ta demande de naturalisation , cher Johnny, incite à l'optimisme. Comme Dirk dans l'espace, comme les Mauves et leur carton plein en Ligue des champions . Comme Jean-Claude qui projette de simplifier les structures politiques de la Région Sud , comme Jean-Luc qui revient à la politique et Wilfried qui se déjuge de ses anciennes idées confédéralistes . Comme Justine , à qui la Belgique manque. Comme les jumeaux du Prince Laurent et de la Princesse Claire. Comme Benoît, Philippe, Axelle , Ghinzu ou encore Lara , ces belges qui "font" ta patrie d'adoption (bien sûr que tu est des nôtres, tu as bu ton verre...), comme la désignation de René au poste de coach fédéral ( je voudrais t'offrir un maillot des Diables frappé du numéro 23 pour l'Euro 2008 même si nous ne nous qualifions pas). Comme Didier qui voyage pour vanter notre fiscalité avantageuse (les conseilleurs n'étant pas les payeurs, je pouffe). Comme Albert qui fêtera ses 80 ans riche comme Crésus ou comme une soirée Strictly Niceness. Comme Vincent qui finira la saison dans son club ou la longévité sportive de Jean-Michel . Comme ton ami François qui gagne un prix littéraire. Comme ce tissu associatif qui se lève courageusement contre les plus élémentaires violations des droits humains commis ici . Comme ta rencontre avec Jean dans un film de Patrice. Comme l'espoir d'une belle rencontre , du retour de la personne qu'on aime, d'une refonte du Parti Socialiste ou encore d'une réelle vision européenne à long terme... comme ces multiples signes et espoirs de générosité ou de dignité, interprètes - les comme tu le veux...

    Cher Johnny, ta demande de naturalisation est la première bonne raison d'être fier d'être Belge en ce début 2006, pourvu qu'il y en aie d'autres. Non Johnny, t'es pas tout seul, on est 10 millions à vouloir t'accueillir.

    Mes meilleures pensées à Laetitia , Jade , Laura et le reste de la famille.

    Philippe Coicou


    (*) : les patronymes vous seront épargnés cher lecteur, qui savez de qui l'on cause.
    (**) : Christophe Wargny : Haïti n'existe pas (1804-2004 : deux cents ans de solitude) : Collection Autrement , Frontières.


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