• Serge Bambara alias Smockey a été élu meilleur artiste burkinabé de
    l'année 2005 devenant le premier rappeur à recevoir cette distinction
    tant enviée qu'est le « Kunde d'Or ». 2 albums, des dizaines de
    productions, un activisme et une présence de tous les instants font de
    lui un personnage incontournable de la scène nationale. A quelques mois
    des élections présidentielles, il sort un maxi pour le moins
    provocateur intitulé « Votez pour moi », réagissant ainsi à chaud à
    l'actualité de son pays. L'homme est souriant, disponible, engagé aussi
    ; on peut le qualifier de « bon client » pour un journaliste. Rencontre
    avec l'artiste dans son fief : le studio Abazon.







    Dj Kwak : Tu est élu meilleur artiste du pays pour l'année 2006 ayant reçu le « Kunde d'Or ». Que représente ce prix pour toi ?



    Smockey : « C'est pas petit ! » comme on dit par ici. Sans rire, cela
    représente beaucoup de choses car premièrement, c'est le premier kunde
    du rap burkinabé, pour moi c'est symbolique.



    K. : C'est l'effet « Votez pour moi » ?



    S. : Je ne crois pas que ce soit l'effet « Votez pour moi », car après
    tout, avec ce que je raconte dans la chanson, je ne crois pas que
    beaucoup auraient envie de voter pour moi (rires). Mais apparemment, ça
    a été le cas. J'en suis bien content parce que d'abord, ça fait quand
    même pas mal d'années qu'on fournit des efforts de ce côté-là avec la
    structure. On produit, on réalise, on distribue, on organise des
    concerts, on a fait près d'une trentaine d'albums, on a fait plein de
    choses quoi... on a quand même un petit parcours depuis 2001. Ensuite, ce
    qui me fait très plaisir, c'est que ce n'est pas forcément une chanson
    qui caresse dans le sens du poil qui m'a permis de remporter le kunde.
    Et ça, ça me fait très plaisir.



    K. : Ca va même carrément à rebrousse-poil (il rit ), tu est arrivé aux
    « kunde » avec un maxi alors que théoriquement, il faut un album...



    S. :  Je ne suis pas arrivé avec un maxi... en l'occurrence, je ne
    suis pas arrivé du tout... C'est-à-dire que j'ai réagi à chaud à
    l'actualité. L'actualité, c'était les élections présidentielles. Il me
    fallait un format qui permette d'aller vite, et c'est le format maxi
    qui s'y prêtait le mieux... et donc, je l'ai fait.Le commissariat des
    kunde a fait un choix, une sélection, ils ne m'ont pas demandé mon
    avis... J'ai même demandé de ne pas faire partie des présélections
    arguant du fait que c'était un maxi et non un album, il se fait qu'ils
    m'ont fait comprendre clairement, en français dans le texte, que le
    kunde est une cérémonie qui récompense les œuvres et non les formats.
    Ils m'ont même dit qu'il ne m'appartenait pas de décider si je voulais
    être sélectionné ou non. Je ne devais pas y être, à cette cérémonie, je
    devais me faire remplacer par mon manager, et puis, par un concours de
    circonstances... un membre du commissariat a insisté pour que je vienne...
    moi, je me sentais assez mal à l'aise là-bas... il n'y à rien de calculé
    dans tout ça... je ne crois pas avoir assez de moyens pour corrompre le
    jury (rires), qui plus est, il semble que la Première Dame n'était pas
    contente (la Première Dame, ce n'est quand même pas la moindre de nos
    citoyennes ! ), je suppose que, heureusement, le jury ne l'a pas suivi,
    heureusement ! parce que ça donne envie de croire encore aux
    institutions de ce pays... Je ne jouais pas la comédie. J'ai été
    agréablement surpris d'être élu « kunde d'or » de l'année, j'avais été
    sélectionné l'an passé pour l'album « Zamana » et je ne l'avais pas
    remporté, le prix ; donc cette année, je ne m'y attendais pas vraiment...
    d'autant que j'étais opposé à cette participation. Donc, je suis
    content. Content pour ce qui a été fait par le passé, content pour
    moi-même parce que ça m'encourage à en faire encore plus, ça
    m'encourage à dire les choses comme elles sont... Mon grand-père avait
    jugé important de me rappeler qu'ici, on est au Faso, et non chez les
    blancs ( Smockey a vécu près de 10 ans en France), et que donc, il est
    certaines vérités qui ne sont pas bonnes à dire et j'en ai fait une
    chanson sur le premier album qui s'appelait « Yabaa »... je suis content
    car, par exemple, hier soir , il y avait une cérémonie dans la demeure
    familiale, les parents étaient contents... comme je n'ai pas fait dans la
    dentelle et que j'ai gagné le kunde d'or, c'est une grande fierté pour
    moi de pouvoir leur dire « vous voyez, vous n'aviez pas si raison que
    ça de me dire de ne pas affirmer mes convictions »... Je crois que je
    suis peut-être le rappeur le plus heureux du Burkina Faso...



    K. : Manifestement, tu t'engages politiquement... Es-tu le porte-voix de la jeunesse d'ici ?



    S. : (Il hésite, mal à l'aise) Je... Je ne sais pas... Il ne m'appartiens
    pas de le dire...Je ne souhaite pas être un porte-voix car il me semble
    que chacun a son mot à dire... Je suis pour le respect des différences et
    même je crois qu'il faut pouvoir les affirmer... Je suis pour un
    individualisme profond (rires)... dans le vrai sens du terme... je crois
    que chacun doit pouvoir se forger une opinion, une façon de concevoir
    la vie... porte-parole, ça fait berger, ça fait mouton. Depuis que j'ai
    commencé la musique, je passe mon temps à me battre contre ça donc il
    serait malaisé que je me considère comme un porte-parole, comme une
    espèce de guide, d'ailleurs, je ne peux pas en avoir la prétention. Je
    fais juste mon job, comme dit l'autre, à plein temps, je fais ma part
    de travail et j'espère, en fait, je sais que les autres font la leur...
    ils la font parce que la musique burkinabée ne cesse de grandir et
    c'est tant mieux...



    K. : Comment est-tu tombé dans le rap ?





    S. : Ca a commencé vers 88-89 avec les petite concours de rap, avec les
    t-shirts et les casquettes (rires)... à l'époque, il n'y avait personne
    qui rappait en français, c'était vraiment mal vu de rapper en français...
    ce n'était pas du tout à la mode, donc tout le monde, y compris moi,
    rappait en anglais... on rappait en phonétique anglaise en « pompant »
    les lyrics de LL Cool J, Public Enemy, etc... je pense que j'ai été le
    premier à rapper en français dans le texte... bien obligé... pas parce que
    je le voulais mais parce qu'il y avait un monsieur, un burkinabé qui
    venait des USA qui a commencé à rafler les premières places de tous les
    concours...parce qu'il rappait en anglais, qu'il était capable de
    s'exprimer en anglais et capable d'expliquer son propos...





    K . : Et dans les langues locales ? Le More par exemple ?



    S. : En More ? Ce ne serait venu à l'idée de personne , à l'époque, de rapper en More ! Personne ne rappait en More !



    K. : Et aujourd'hui ? On rappe en More, en Dioulla ?



    S. : Aujourd'hui au Faso, on rappe en More, en Dioulla, en Bissa, en
    Français, en Anglais, on rappe dans toutes les langues... Il n'y a plus
    de tabous...



    K. : Comment expliques-tu cela ?



    S. : J'explique cela par le fait qu'il y a de plus en plus d'albums qui
    sortent, par le fait que les artistes ont envie de se forger un style
    propre... à l' époque , sortir un album était un véritable parcours du
    combattant, maintenant, on sait que sortir un disque est chose
    faisable. Maintenant il y a plein d'albums qui sortent et on a envie de
    faire quelque chose de différent par rapport à ce que l'autre fait, ce
    qui est une bonne chose...les artistes ont envie d'y mettre quelque chose
    de leur culture, quelque chose qui fasse en sorte que leur style ne
    ressemble pas forcément au rap français ou américain... d'ailleurs, c'est
    encouragé... il y a eu plusieurs exemples qui ont prouvé que c'est ce
    rap-là qui marche ici au Faso, en Afrique. Le rap qui puise ses
    racines, ses ressources dans la culture burkinabée, africaine. C'est ce
    rap-là qui a le plus de succès avec le grand public...



    K. : Incorpores-tu régulièrement des éléments africains dans ta création musicale ?



    S. : Bien sûr, tant dans le premier album avec « Yaaba », que le second
    album avec « Zamana » ... c'est la culture côté paternel, la culture
    bissa. Pour le troisième, ce sera pareil... la seule différence, c'est
    que je ne m'applique pas à utiliser des outils que je ne maîtrises pas.
    Par exemple, je suis né au Burkina Faso mais ma mère est française donc
    on a toujours parlé français à la maison même si mon père parle bissa.
    Je m'exprime beaucoup mieux en français que en bissa donc il n'y a pas
    de raison que je fasse un album en langue bissa... j'ai envie de pouvoir
    dire les choses telles que je les ressens... ce n'est pas forcément la
    langue qui soit le mieux adaptée à mon expérience personnelle. Donc,
    j'incorpore toujours quelque chose de ma culture, mais c'est subtil, ce
    n'est pas l'armada Bissa (instruments traditionnels, langue,...),
    j'essaie de faire un petit mélange, par exemple, en donnant des titres
    en bissa à certaines de mes chansons, en incorporant des couleurs Bissa
    aux instrumentaux... je fais des clins d'œil... des featurings avec des
    membres de la communauté Bissa... mais je continue de rapper et
    m'exprimer en français parce que c'est l'outil le plus proche de ma
    réalité personnelle et artistique et que je le maîtrise mieux que la
    langue bissa.



    K. : A ton retour au pays en 2001 après quelques années en France, tu
    as ouvert le studio Abazon, et, me dit-on, tu as lancé le mouvement ici
    en produisant les premiers albums d'artistes à présent confirmés,
    notamment Faso Kombat, Wed Hyack ou encore Yeleen, par exemple. Es-tu
    le Don du rap burkinabé ?



    S. : (rires) Non, je ne suis pas le Don... je ne tomberai pas dans cette
    facilité-là... et puis, je n'aime pas le terme car il a une connotation
    mafieuse... je suis quelqu'un qui a eu la chance de travailler à un
    moment donné avec des gens qui, eux, avaient envie, avaient besoin de
    bosser avec moi. On avait tous besoin les uns des autres. Il se trouve
    que j'ai ramené un outillage... et que j'étais peut-être plus proche de
    ce qu'ils concevaient à l'époque. Il y avait des studios mais ils
    étaient plus spécialisés dans la musique traditionnelle que dans le
    rap, donc, j'ai eu des facilités de contact... d'ailleurs, je continue à
    travailler avec bon nombre d'entre eux... c'est un échange,  une
    collaboration, ils m'apportent autant que je leur apporte, on grandit
    ensemble, on s'influence les uns les autres... je ne pense pas avoir
    apporté plus à la musique burkinabée qu' elle ne m'a apporté.



    K. : Quelles sont tes influences ?



    S. : Mes influences principales ne sont pas du tout hip hop... Il y a des
    personnages de la musique française que j'adore, et qui ne sont pas
    forcément les plus communs, en tous cas par rapport au style de musique
    que je fais. Georges Brassens par exemple... je l'apprécie énormément.
    Pour moi, c'est vraiment un artiste complet, il y a du texte, de la
    mélodie, c'est ce qui m'impressionne le plus... j'ai du mal... ce n'est pas
    que je n'apprécies pas le travail des autres rappeurs... j'ai déjà du mal
    à m'apprécier moi-même car je ne suis jamais satisfait de ce que je
    fais (il sourit) ...

     Je trouve que le rap a un handicap, c'est qu'il fort basé sur le
    lyrics (le texte) et qu'il y a beaucoup de choses à dire. On peut
    facilement tomber dans la facilité, on peut, au lieu de faire un
    concentré de bonnes choses, greffer des trucs qui enlèvent du sens à ce
    que l'on fait. C'est compliqué de créer, d'enregistrer une chanson rap
    qui soit belle, poétique ; ce n'est pas aussi évident qu'avec la
    chanson où on peut tirer sur les fins de phrases, jouer avec la
    musique... Moi, ce qui m'impressionne dans le rap, c'est le texte. Je
    mets d'abord le texte, ensuite le flow, ensuite la musique...  j'ai
    toujours été influencé par les textes...je préfère écouter la musique que
    la danser... je fais toujours attention à ce qui se dit tant en ce qui
    concerne les mots que les instruments...j'attache beaucoup d'importance
    au sens. J'ai des difficultés à faire des choix. Dans le rap, il y a la
    dualité fond / forme...



    K. : Donc,la culture blingbling (rap matérialiste) du genre 50 Cent et autres, ça te paraît creux... Tu t'en distancies ?



    S. : Oui, franchement, cela me paraît creux... même si je rends à César
    ce qui  lui appartient c'est-à-dire il y a énormément de travail
    derrière... moi, je serais incapable de rapper comme certains français ou
    américains qui ont un flow incroyable, des enchaînements de rimes
    invraisemblables, c'est du boulot quoi, et puis il y a des grosses
    productions , le marketing... c'est important... ça fait partie de la
    culture...



    K. : Quand on parle de marketing, on parle encore de culture ? Moi,
    j'ai l'impression qu'ici, on est plus proche de la culture, on est plus
    dans la création brute et moins dans l'effet d'annonce, dans le
    marketing justement...



    S. : Je pense que la musique a besoin de marketing, spécialement la
    musique africaine, et plus spécifiquement ici au Faso parce qu'on n'est
    pas connus à l'extérieur... la musique a besoin de gens qui font du
    marketing. Il y a des gens qui font de la musique qui s'écoute
    facilement, ils permettent à d'autres de faire leur truc, d' exister,
    de continuer à faire ce qu'ils aiment. Donc, c'est complémentaire. Ce
    serait idiot de dire : « c'est comme ça qu'il faut faire de la musique
    » parce que, par exemple, autant j'apprécie le jazz, autant parfois, ça
    m'ennuie prodigieusement... la musique poussée à son paroxysme est
    parfois tellement intense que le citoyen lambda n'y comprend plus rien...
    je ne me sens pas trop proche de cette musique ... à l'image de la
    restauration : la grande gastronomie et la bouffe populaire... je crois
    qu'il faut un peu des deux, il en faut pour tous les goûts... je ne suis
    pas pour une façon de concevoir la musique qui exclurait toutes les
    autres, je pense qu'il faut de tout :  de ma musique populaire,
    commerciale, de la musique réfléchie et intimiste... de la musique, il y
    en a pour tous les goûts. Chacun choisit son secteur, son créneau et
    puis il essaie de faire avec... maintenant, je peux avoir des goûts
    personnels mais cela ne m'empêche pas d'avoir du respect pour le
    travail d'autrui.



    K. : Tu parlais d'individualisme profond tout à l'heure. Que penses-tu
    d'une initiative privée et bénévole comme le blog « Burkina Rap
    Connexion » animé par Math Cool J et la passion qui l'inspire ?



    S. : C'est une initiative intéressante bien entendu. Il faut commencer
    par là. On commence toujours par une passion...On a un hobby. On le fait
    « gratuitement », pour se faire plaisir à soi-même, par passion
    d'abord, mais je pense qu'au fur et à mesure, les choses vous
    échappent... à dispenser des services reconnus pour être efficaces, au
    bout d'un moment, la situation vous échappe, vous n'êtes plus le
    monsieur qui rend service, qui fait plaisir, vous vous rendez compte
    que beaucoup de gens qui sont intéressés par ce que vous faites, 
    qui en ont besoin ; alors , vous êtes obligé de vous organiser, ça
    devient alors beaucoup moins « humanitaire » que votre objectif de
    départ... qui dit organisation, dit structure, dans mon cas, label, etc...
    on est obligé de passer par là... quand je suis arrivé et que j'ai monté
    le studio Abazon, je voulais, au départ,  faire des trucs pour
    moi, produire quelques sons sur une année, puis en fait, dès que j'ai
    commencé à bosser, je ne me suis plus jamais arrêté... bosser pour les
    uns, pour les autres... tu te rends compte au fur et à mesure de ton
    expérience qu'il y a un besoin et tu est obligé de faire avec...donc, tu
    bosses... ça devient une industrie. Une industrie qui, je pense, 
    conçoit la culture différemment quand même... parce qu'on parle de rap,
    une forme d'expression qui n'est pas forcément appréciée de tous, ce
    qui fait peut-être sa force d'ailleurs, ce qui lui donne un petit côté
    rebelle qui fait que les gens se battent et argumentent...



    K. : Crois-tu que ton kunde d'or puisse faire accepter le rap par ceux qui s'en méfient a priori ?



    S. : Je ne crois pas qu'il puisse le faire accepter. Je crois qu'il le
    fait forcément accepter. Les gens attachent énormément d'importance aux
    récompenses, aux honneurs. On ne le croirait pas , mais c'est vrai.
    C'est incroyable le nombre de félicitations, d'attentions que je reçois
    depuis que j'ai reçu le kunde ! Les gens y attachent beaucoup
    d'importance. Je pense que ça va donner aux gens un regard plus positif
    sur le rap... c'est un fait... le kunde, c'est la cérémonie la plus
    prestigieuse du BF, une cérémonie pour les artistes- musiciens
    burkinabés. Donner le kunde à un rappeur, c'est dire que le rap, c'est
    de la musique... et c'est ce pourquoi, je pense, tous les rappeurs se
    battent... combien de fois ai-je assisté à des débats dans les maquis
    (bistrots),dans les cours, où les gens disent que le rap n'est pas de
    la musique... Il y a encore des gens aujourd'hui qui pensent que le rap
    n'est pas de la musique. C'est difficile pour ceux qui ont connu des
    groupes de salseros, de roots reggae, de rock, de concevoir que le rap,
    qui à la base est construit sur le sample (échantillonage), est une
    autre façon de concevoir la musique. Un musicien vous dira que le rap,
    c'est une boucle de 4 mesures copiée à l'infini. Je pense qu'il faut
    aller au-delà de cette manière de voir. Je ne suis pas, moi-même, un
    fervent partisan du sampling... Le rap est une musique hyper démocratique
    car il n'y a pas besoin de jouer un instrument, de faire une école de
    musique... mais dans le même temps, ne fait pas du rap qui veut... sinon,
    tout le monde en ferait... Certains s'y sont essayés qui ont vu que 
    c'est beaucoup plus complexe que cela en a l'air.



    K. : Parlant de sampling, tu disais ne pas cautionner cette pratique. Pourquoi ?



    S. : Parce qu'il me semble qu'on tombe un peu dans la facilité. Même
    s'il y a de la créativité. Dans le sens où l'on récupère des mélodies,
    qui existent déjà et qui, pour la plupart, ont cartonné ;  même si
    on les retravaille, qu'on les dispose autrement, il y a toujours un
    problème de droits d'auteur qui se pose... D'autre part, c'est comme si
    on avait épuisé toute forme de créativité musicale, et que l'on ne peut
    pas faire mieux que ce qui se faisait alors. A mon avis, ça a un côté
    dégradant, artistiquement parlant. Ca fait un peu genre : « je n'ai pas
    d'idée, je ne sais pas quoi faire... ça tombe bien, il y a un truc qui a
    marché il y a 40 ans... »...



    K. : Pourtant, la plupart des tubes rap sont basés sur le sample. La culture elle-même est basée sur le sample...



    S. : Ce qui est intéressant là-dedans, c'est le côté « recyclage »... En
    même temps, je dis que c'est frustrant pour l'artiste. Utiliser un
    sample peut être intéressant par rapport à un travail, par rapport à
    une façon de voir la chanson, par rapport à la thématique, par rapport
    à ce que l'on ressent à l'égard de la musique que l'on enregistre, mais
    ça pose la question de savoir si je peux faire quelque chose qui
    ressemble à l'original mais qui n'est pas l'original... J'utilise du
    sample, mais ce n'est pas une priorité pour moi. J'utilise le sample
    que si je ne peux pas faire plus ou mieux...



    K. : Que samples-tu par exemple ?



    S. : Je suis fasciné par la musique des années 70. Funk, soul, disco,
    rock, jazz... Mais particulièrement les années 70. Je pense que c'est la
    période la plus riche, la plus créative en matière musicale.



    K. : Parlons « structure ». Tu diffuses toi-même, tu te promotionnes toi-même, tu presses toi-même ?



    S. : Oui. Je diffuse, je promotionne, je presse les cd. Au niveau des
    cassettes, cela nécessite une infrastructure trop lourde en termes de
    machines... il y a ici une unité de duplication, donc, on fait le
    pressage de cassettes là-bas, on les paie, on les récupère, puis, on
    travaille.



    K. : Quels sont les chiffres de ventes en termes de cassettes pour un album comme « Zamana » ?





    S. : Si je ne me trompe pas, « Zamana » s'est vendu à 14 ou 15000
    exemplaires... Maintenant, il faut savoir que l'industrie musicale au
    Faso n'est pas très développée... un album qui marche bien atteint près
    des 10000 exemplaires, un album qui cartonne, un truc exceptionnel,
    c'est 30000 maximum...



    K. : Le rap t- a- t- il permis de créer des contacts à l'extérieur du Faso, dans la sous- région ?  En France ?



    S. : En France, non. Je n'ai pas forcément envie d'y retourner
    d'ailleurs... En tous cas, ce n'est pas une fin en soi . Si j'y retourne,
    ce sera pour des projets spécifiques, que je souhaites vraiment, pas
    pour n'importe quoi... J'y  ai vécu pendant près d' une dizaine
    d'années, je connais quand même un peu le pays, je ne supportais plus,
    je suis parti et je suis rentré chez moi... Je pense que j'ai plus
    d'inspiration ici, que j'ai plus de temps pour faire les choses et les
    voir venir... Ma priorité, c'est de tourner, d'être distribué d'abord
    dans la sous- région, ensuite l'Afrique, le reste après... si des gens
    sont intéressés, si les moyens sont là, pourquoi pas développer un truc
    à l'étranger ?  



    K. : Est-tu distribué dans la sous- région ?



    S. : Je crois qu' on trouve certains de mes albums au Mali et au
    Sénégal... mais ce n'est pas exactement une distribution en bonne et due
    forme (rires).



    K. : Comment s'est faite la connexion avec Didier Awadi ( de Positive
    Black Soul. Père du rap sénégalais, oncle du rap africain) ?



    S. : Tout naturellement. C'est un bonhomme extrêmement humble et
    sympathique, un grand artiste au parcours impressionnant, c'est un ami...
    un frère. Il est venu ici faire un spectacle, on s'est rencontré, et on
    s'est rendu compte qu'on a les mêmes aspirations, la même manière de
    voir les choses, les mêmes combats au niveau du rap... Tout de suite, le
    courant est passé, depuis, dès qu'on peut travailler ensemble, on le
    fait. Je l'appelle, il m'appelle...  



    K. : Comment réagi ta famille par rapport à ton métier ? Etait-il admissible pour eux avant que tu ne reçoives le kunde ?



    S. : Ils l'ont admis dès le départ, parce que, très vite, j'ai beaucoup
    bossé, ils me voyaient m'investir à fond... mais il manquait la
    reconnaissance en quelque sorte, je pense... Ici, en Afrique, on est
    vachement à cheval sur les honneurs, les récompenses, etc... J'ai mis pas
    mal de temps à le comprendre... Et puis, ils sont très fiers parce que je
    suis Bissa et que c'est le premier kunde de la communauté Bissa... c'est
    la fête... (rires)



    K. : Arrives-tu à vivre de ta musique ?



    S. : Tant bien que mal, j'en vis... je crois que je pourrais en vivre
    bien mieux si je faisais les concessions nécessaires, mais je ne les
    fais pas. J'ai ma logique, ma façon de voir les choses... Si je voulais
    faire beaucoup d'argent, je choisirais un autre style musical. Je
    continue à faire la musique que j'aime et heureusement, j'arrive à m'en
    sortir... Au niveau des droits d'auteur, c'est le Bureau Burkinabé des
    Droits d'Auteur (B.B.D.A), qui gère cela. Tant bien que mal parce que
    c'est une jeune institution. Mais, c'est une institution qui compte
    aujourd'hui en Afrique. Je crois que les diffuseurs ne paient pas assez
    régulièrement de taxes, etc... Ce n ‘est pas encore une manne, les
    artistes se rattrapent avec les spectacles.



    K. : Montes-tu régulièrement sur scène ?



    S. : Moins maintenant. Je fais 4 ou 5 concerts par an. Je refuse
    certaines propositions car je crois que toutes ne sont pas bonnes à
    prendre... notamment pendant la campagne électorale durant laquelle il y
    en a  eu de toutes sortes ...



    K. : Les rappeurs ont été sollicités pendant la campagne ?



    S. : Bien sûr, tout le monde a été sollicité. Tel parti vous propose de
    monter sur scène avec les banderoles en fond de scène, vous « proposant
    «  de ne pas chanter telle ou telle chanson... ce n'est pas ma
    manière de voir les choses...



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  • Daptone continue sa marche en avant... le label new yorkais réedite bientôt de savoureuses vieilleries ayant pour nom Poets of Rhythm, The Daktaris ou The Sugarman 3 après avoir sorti cet hiver The Budos Band et les Mighty Imperials; Sharon Jones and The Dap Kings entame une tournée européenne au printemps (passage en Belgique, à l'Ancienne Belgique, le jeudi 27 avril).
    On avait rencontré Gabriel Roth aka Bosco Mann l'an passé au concert anversois de Sharon Jones & The Dap Kings. L'homme-orchestre du label Daptone Records, petit blanc planqué derrière des lunettes noires comme la couleur de sa musique, est d'un abord agréable et sympathique, passionné et jusqu'au boutiste dans son idée de la soul music. Il fait tout dans Daptone, composer, jouer, enregistrer, mixer, coordonner les tournées de ses nombreux artistes, surveiller la qualité des test-pressings et créer les pochettes des albums, s'occuper du mailorder (commande par internet), etc... Forçat de travail et de motivation. Interview par mail... courtes questions, courtes réponses.

    Philippe Coicou : comment était la tournée Gabe ?

    Gabriel Roth : Magnifique, incroyable... on a rempli des salles, on a eu du soleil, du bon vin, de la bonne herbe, des beaux sourires. C'était une tournée fantastique. On a de la chance...

    PC : Selon toi, c'est de la chance ou alors le résultat d'un travail intense (tournées, le nombre et la qualité de sorties de ton label...) combiné avec le charisme de Sharon ?

    GR : Certainement pas de la chance... on bosse comme des fous depuis plus de 10 ans, on répète beaucoup pour mettre au point les meilleurs concerts et les meilleures chansons possibles... c'est le résultat d' un travail fou de la part de super musiciens.

    PC : Une journée de Gabriel Roth, ça ressemble à quoi ?


    GR : Je n'ai pas de journée-type. Un jour au bureau à régler des problèmes avec des usines de pressage ou des agences de booking, un autre dans le studio à réparer mes machines (toutes analogiques.NDLR) ou à enregistrer de nouvelles chansons, un jour au parc avec un livre ou sur mon toit à enlever la neige. Un autre encore à faire les pochettes ou les étiquettes des 45 tours... en l'occurrence, ma journée est plutôt une combinaison de tout cela.

    PC : Comment a commencé l'aventure Daptone Records ?

    GR : Daptone est né cendres de mon précédent label Desco Records (qui a commis, entre autres, The Daktaris. NDLR) et d'un profond amour de la soul music.

    PC :Comment as-tu rencontré la soul music ?

    GR : J'ai rencontré la soul music aux alentours de 10h du matin dans un bistrot graisseux du NY westside. Je mangeais un hamburger et quelques frites, la soul music m'a gentiment passé le sel...

    PC : merci beaucoup.



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