• MON VINYLE PESE UNE TONNE.


    Au commencement était le 78 tours. Grosse plaque ronde d'acétate sur laquelle Columbia Records (dépositaire du brevet) gravait les premiers tubes de Louis Armstrong et Bessie Smith. Ensuite vinrent le 33 tours et le 7 pouces (45 tours) qui furent l'unique support de musique enregistrée. On prédit la mort de ces objets au milieu des années 80 avec l'émergence de cette rondelle de plastic sans âme qu'est le Compact Disc. Et pourtant ...

    Le support vinyle n'est pas mort.

    « En 1985, déjà, on m'avait dit que le vinyle serait mort endéans les 5 prochaines années. Trente ans plus tard, je suis encore là » sourit Jean-Pierre, patron du magasin « Le Juke Box Shop », le plus ancien disquaire d'occasion de Bruxelles qui possède un stock de près de quatre cents milles pièces. Il poursuit : « Après tant d'années dans le business, on acquiert une certaine culture générale, ce qui permet d'être apte à répondre à tout type de demande. Le vinyle, c'est tout un pan de culture qui n'a pas été réédité en cd. N'ont été re-pressés que les disques les plus rentables ». Joël Parmentier (United Musik) ajoute : « avec le vinyle, il y a une envie de ne pas céder à ces nouveaux supports imposés par la société de consommation. » dont Alexandre (25 ans), croisé au magasin Lost In Music, dit qu'ils sont « une régression technologique plutôt qu'un progrès au vu de la piètre qualité sonore du mp3 par exemple. Le format de compression de celui-ci abîmant la qualité sonore au lieu de la mettre en valeur ». Nombreux sont les amateurs de musique qui, en effet, se plaignent de la médiocre qualité du mp3 (format de téléchargement). Néanmoins, pour Simon Le Saint (disc jockey réputé qui joue de plus en plus avec des mp3) « les gens, en club, se fichent de la qualité sonore. La vérité, c'est qu'après deux verres, ils n ‘entendent plus la différence entre un mp3 et un vinyle. ». Ce format serait-il exclusivement réservé à des mélomanes et à des dj's ? Olivier Van Ingen, vendeur chez Arlequin, acquiesce « il y a une certaine catégorie de gens qui recherchent du vinyle. Non en termes d'âge ou de pouvoir d'achat mais plutôt en termes de recherche de qualité sonore, de beauté de l'objet. »

    Le marché de l'occasion.

    Pourtant, malgré la perte de son monopole en termes de support, les sorties en format vinyle sont nombreuses. Certes marché de niche, il fait les délices de ceux qui, à l'image d'Alexandre, recherchent autre chose que le tout-venant, l'évident; ceux qui prennent plaisir à fouiner, à découvrir d'anciens et de nouveaux artistes. Les collectionneurs ont longtemps eu la haute main sur ce marché du disque d'occasion. Les prix, parfois exorbitants, de certains disques (pressés en peu d'exemplaires et peu ou pas distribués) ont crée une sensation d'exclusive pour certains acheteurs qui, à présent, vendent leurs pièces sur Internet. Pour Peter Dekeyser, de Lost In Music Records, « Internet fait que les gens qui cherchent des disques sont mieux informés qu'auparavant quant aux prix, aux sorties. Ça rend la discussion plus intéressante qu'alors, mais d'un autre côté, ça complique notre business.» J. Parmentier a un avis différent : « Internet facilite notre métier car ce phénomène fait baisser les prix. En mettant à portée de tous, ce que, il y a quelques années, seule une poignée d'avertis pouvait espérer acquérir, ça ouvre le marché à des amateurs qui souhaitent l'objet, non pour son contenant mais plus pour son contenu. En gros, ça démocratise un marché qui était relativement élitiste.»

    Le marché de la réédition.

    À côté du disque d'occasion, il existe pléthore de labels (principalement anglais et américains) spécialisés dans la réédition et la compilation de raretés qui tirent leur épingle du jeu dans un marché réputé très concurrentiel. En mettant à portée du public, à des prix démocratiques, des œuvres rares, donc chères et très difficiles à trouver, ils font œuvre d'éducation du public. Soignant la forme (pochette, notes explicatives, interviews des acteurs de ces oeuvres) comme le fond (renforcement du son originel, pressages de grande qualité), ils apparaissent comme des gourmets face à une compagnie de nourriture rapide. Les majors leur ont récemment emboîté le pas en rééditant, en vinyle, le meilleur de leurs sorties de l'époque. Et elles prennent même le pli de sortir dans ce format leurs artistes actuels. En des proportions minimes par rapport au cd mais en tenant compte de ce marché d'amateurs.

    L'avenir du support vinylique.

    On avait prédit sa mort voici 20 ans, il est encore là. On annonce son agonie aujourd'hui. Qu ‘en sera-t-il demain ? Pour J. Parmentier, « il existe un regain d'intérêt pour ce support car il y aura toujours des œuvres qui n'ont pas été rééditées en cd qui entreront dans le domaine public. Il y aura toujours des gens pour rechercher des disques de seconde main ou des rééditions d'œuvres rares. De même, il y aura toujours des collectionneurs maniaques à la recherche de la pièce rare et disposés à y mettre le prix. Fût-il exorbitant. »



    votre commentaire
  • Le « Kunde d'or », prix du meilleur musicien burkinabé a, cette année,
    récompensé un rappeur. Donnant ainsi au rap du pays des hommes intègres
    la reconnaissance qui lui revient. L'occasion de faire connaissance
    avec ce genre musical, en pleine expansion au Burkina Faso comme
    partout ailleurs en Afrique, et de rencontrer ses acteurs.





    Juin 2006, Wemtenga, Ouagadougou.



    Au Studio Abazon, centre nerveux du hip hop façon Faso, Faso Kombat
    travaille à son nouvel album. David Le Combattant construit ses rimes
    sur dictaphone dans la salle d'enregistrement. Energique, il sort de la
    cabine, vient demander  à son compère le nom d'un ex chef d' état
    sénégalais actuellement Président de la Francophonie puis retourne à
    son appareil et à son futur texte. Malkom écoute l'instrumental en
    devenir sur lequel, dans un moment, il posera son flow en Français. Il
    ira écrire dehors à l'abri du bruit et de l'agitation de son acolyte.
    David, lui, rappera en More. Smockey triture son Korg Triton et son
    ordinateur à la recherche d'un beat bien sale. Il terminait, il y a
    quelques heures à peine, le mixage de l'album à venir d'un groupe de
    Bobo-Dioulasso appelé Mic K Panga (la force du micro). Les hommes sont
    détendus, plaisantent ensemble, discutent de football (actualité oblige
    ! ), de rap et de religion. Se vannent à propos de leur origine
    ethnique. La parenté à plaisanterie (système de régulation des conflits
    interethniques par la plaisanterie et l'humour) fonctionne ici à plein
    régime. Bientôt, la musique, les lyrics et les hommes seront prêts. Une
    nouvelle page du hip hop burkinabé va s'écrire.



    Façon Faso.



    Le Burkina Faso, une mosaïque culturelle de 12 millions d'habitants,
    près de 60 éthnies, et donc 60 langues pour produire des rimes.
    Pléthore d'artistes, des studios, des activistes bénévoles, des
    émissions de radio, une rubrique hebdomadaire « La lettre 2 rap » dans
    une revue à diffusion nationale  une émission télé baptisée « All
    Flowz » consacrée au rap, diffusée sur la chaîne nationale et
    disponible sur le net (*), un festival international (Ouaga Hip Hop),
    autant d ‘éléments qui permettent d'attester de la vivacité de la scène
    burkinabée, de sa diversité aussi, de sa qualité, enfin. Ses débuts
    furent difficiles pourtant. On raconte que le journaliste (Yacouba
    Traore ; actuel directeur de la Radio Télévision Burkinabé) qui, le
    premier avait invité un groupe de hip hop (Yeleen) à la télévision,
    reçut après l'émission des lettres d'insultes le traitant de voyou
    puisqu'il recevait des « voyous » sur le plateau. Aujourd'hui encore,
    peu de scènes sont dédiées au rap (Smockey lui-même ne fait que 4 ou 5
    concerts par an dans le pays), peu de gros studios et de structures
    d'envergure se consacrent à l'enregistrement et à la promotion des
    artistes de rap alors que la demande est grande.



    Les vocations pour le rap se sont éveillées au Faso aux alentours de
    1989-90 avec le breakdance, les albums de Public Enemy, Naughty By
    Nature ou LL Cool J, mais le premier album de hip hop burkinabé date de
    1997 avec l'album de l'artiste  Basic Soul . La compilation « Faso
    Connexion », produite par le label 8eme Sens en 1999 et vendue à 2000
    exemplaires, suscite l'engouement des jeunes, les incitant à se lancer
    dans le débat. On y retrouve des groupes de Ouagadougou qui,
    actuellement, sont des valeurs sûres du Hip Hop : Wemteng Clan, 2Kas,
    OBC, Sofaa, KTA, pour ne citer que ceux-là. La seconde compilation
    produite par 8eme Sens, et lancée à peine quelques mois plus tard, se
    vend à 8000 copies. « Chroniks Noires » est une réelle amorce du
    mouvement et révèle au public des groupes comme Yeleen, Clepto Gang, La
    Censure et d'autres encore. Le retour de Smockey au pays en 2001, et
    l'ouverture de son studio Abazon va définitivement lancer le mouvement.
    Les artistes s'y bousculent pour enregistrer leurs rimes sur ses
    productions. Depuis, près de 30 albums ont été enregistrés à Abazon. La
    compilation « La part des ténèbres », les albums de La Censure, Faso
    Kombat,  2Kas, Wed Hyack (le chouchou de ces dames), Yeleen (qui
    deviendra le porte-flambeau du rap burkinabé pavant ainsi la voie pour
    d'autres), les 2 albums de Smockey lui-même (il prépare actuellement
    son troisième opus), Clepto Gang, etc.





    «  Mon destin est propre à l'auto-prod » (Booba)





    Le meilleur moyen pour les artistes d'exister sur le marché est de
    s'auto- produire. Financer l'enregistrement et les supports de
    diffusion de ses œuvres, distribuer soi-même ses cassettes (le cd est
    largement minoritaire faute de lecteurs) reste la meilleure façon de
    s'introduire dans les cours. Bien entendu, la presse écrite, la radio
    et la télévision jouent un  rôle non -négligeable dans la
    promotion des artistes. Il n'empêche que la débrouille et
    l'individualisme règnent en maître. « En dehors du rap, je suis
    mécanicien- soudeur, je fais de la plomberie. Tous les jobs qui me
    tombent sous la main. J'économise puis on va en studio pour travailler
    » dit Bala. Tous travaillent dur, mais chacun dans son coin. Le marché
    fait le tri. Le respect de la part public aussi.

    Les chiffres de vente, pour un album à succès vont de 10 à 20.000
    exemplaires (Smockey ou Kravan par exemple). Les cartons vendent
    30-35.000 (Yeleen, Faso Kombat). Mais la musique ne nourrit que
    rarement et chichement son homme.



    Des structures d'enregistrement et de promotion se sont crée, peu
    nombreuses mais très actives à l'image de la scène. Des jeunes se
    lancent dans le management, il y a, parmi eux, une réelle envie de
    participer à l'éclosion du mouvement malgré des moyens parfois
    rudimentaires voire inexistants. Un activiste bénévole , animateur d'un
    blog consacré au rap burkinabé (Burkina Rap Connexion), confiait que
    certains managers ne possèdent pas de boite mail ou ne sont que
    rarement joignables, même par téléphone.









    « Au Faso, on rappe dans toutes les langues » (Smockey)





    A ses débuts, le rap burkinabé se déclamait principalement en Français
    et en Anglais. Il ne serait venu à l'idée de personne, à l'époque, de
    rapper dans les langues véhiculaires que sont le More et le Dioulla.
    Aujourd'hui, le tabou est tombé. Les rappers souhaitent que leurs
    paroles soient  entendues par la majorité de leurs auditeurs
    potentiels comme se débarrasser de la tutelle encombrante des grands
    frères français ou américains. Tous les artistes insistent sur la
    nécessité de maîtriser l'outil que représente la langue, sur la
    capacité à faire passer leur message. Le Français étant compris par une
    minorité, ils ont compris l'intérêt de s'adresser à eux dans leur
    langue propre. Smockey (prononcer : s'moquer) : « Je m'exprime beaucoup
    mieux en français qu'en langue Bissa qui n'est pas la langue qui soit
    forcément le mieux adaptée à mon expérience personnelle. Néanmoins, le
    rap qui marche ici en Afrique, est celui qui puise son inspiration dans
    ses racines africaines. ». Le nombre d'albums publiés a fait que chacun
    veut affirmer sa différence par rapport aux autres. Imprimer son style.
    Les artistes incorporent des éléments de leur culture dans leur
    musique. Et le public les suit. Les y encourage même, s'y retrouvant
    sans doute mieux. Les groupes burkinabés les plus populaires, y compris
    à l'étranger, sont ceux qui combinent rap en français et rap en langues
    comme Yeleen ou Faso Kombat.



    Ouaga – Bobo : Rap du béton et rap du village





    Moins d'argent, pas d'émissions de radio à l'époque et donc moins
    d'influences extérieures, pas de studios, très peu de concerts, Bobo-
    Dioulasso  la culturelle, seconde ville du Burkina Faso, et siège
    de la Semaine Nationale de la Culture, a appris le hip hop par
    elle-même. Elle rappe par nécéssité. Par passion. Rap Tshikan (les
    messagers du rap) : « Au lieu qu'on nous paie pour monter sur scène,
    nous payons pour y aller ».  Les premiers soundsystems de Bobo se
    déroulèrent vers 1995/96, organisés par les MC's eux-mêmes.



     Pas un groupe de Bobo, hormis Mic K Panga ( dont l'album est à
    venir) qui ait sorti un album pourtant le mouvement est vivace. Bobo
    est divisé en 25 secteurs avec en moyenne 4 ou 5 groupes par secteur.
    Une compilation de rap bobolais (Bobo Connexion) est en préparation à
    l'instigation de King Charlie, amateur de rap et musicien professionnel
    : « Il y a de vraies valeurs ici à Bobo, mais elles sont étouffées par
    le marketing. Tout se passe à Ouagadougou. Ici, c'est un autre rythme,
    un autre style, une autre tradition, une autre langue. ».



    Bala (Mic K Panga) : « Il y a plus d'originalité dans le rap bobolais
    notamment au niveau des textes. A Ouaga, on imite trop le style
    français. Ils ne peuvent pas être meilleurs que là-bas. Donc, c'est une
    perte de temps. C'est dommage ». On ne cherche pas de mots compliqués
    pour faire du rap à Bobo. « A Bobo, on cherche des mots simples pour
    faire des rimes simples. A l'image de Tiken Jah Fakoly, ses textes sont
    énormes mais simples et donc compris par tout le monde, tandis qu'Alpha
    Blondy  écrit des textes plus philosophiques et donc moins
    accessibles ».







    Réseau hiphop panafricain.



    Le Burkina Faso, pays enclavé, l'est aussi du point de vue de ses
    musiques. Sa position centrale dans la sous- région, à l'image du
    réseau routier, lui donne accès à tous les pays alentours. Les rappers
    burkinabés s'exportent de plus en plus, développant des connections
    avec les activistes ouest- africains. Tous insistent sur la nécessité
    absolue de sortir du pays pour exercer leur art, progresser et revenir
    plus forts dans leur pays. Jérémie Ouatarra, dit DNJ, du label 8eme
    Sens : « On veut faire tourner nos artistes dans les pays limitrophes,
    exporter notre musique... un réseau dans la sous- région nous permettrait
    de nous professionnaliser. On a besoin de connexions extérieures ». Le
    pays de référence est le Sénégal, phare historique du hip hop
    subrégional. « La manière de faire des Sénégalais nous a donné
    énormément de motivation car ils puisaient leur inspiration de leur
    propre culture » dit Bala de Mic K Panga. On regarde aussi vers le
    Togo, le Gabon, le Mali, le Bénin ; la France et l'Europe étant perçues
    comme une hypothèse et non un but en soi. Cette façon de voir donne
    raison aux artistes. Faso Kombat fait salle comble au festival de
    Cotonou, Smockey collabore avec Awadi, OBC avec des Nigériens et tisse
    des liens au Ghana. Pour Ali Diallo, organisateur du festival Ouaga Hip
    Hop, la richesse de la culture africaine (langues, ethnies, etc) est le
    pilier du développement du rap africain, la plus sûre garantie de son
    émancipation et de sa reconnaissance sur les autres continents. Affaire
    à suivre donc...





    (*) à l'adresse suivante : www.tnb.bf



    Merci à Mathurin « Math Cool J » Soubeiga, Sadu S.B, Smockey, Cédric
    AVIP, D.Vy, Ali Diallo, Konkret 53, Aïski de Bobo et les artistes pour
    leur collaboration à cet article.



    27 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique